Trois pages qui nous parlent d'un "simple" tube de dentifrice...



                  
 

                                                                                       

"En la suite de cet hôtel qui rappelait assez le salon de quelque luxueux paquebot, la salle d'eau paraissait tout d'abord dénuée de quelque distraction. Deux éviers en faïence décorés de larges fleurs mauvasses, certainement des clématites, bornaient de petits reposoirs en acier où l'on avait disposé un rudimentaire nécessaire à toilette.

Joliment rangé entre deux savons qui embaumaient ce précieux cabinet, un tube de dentifrice trônait, délicatement penché en un gobelet argenté que l'on avait pieusement débarrassé des néfastes éclaboussures d'eau. Comme je m'en saisis, je vis qu'il était intact, d'apparence molle et agréable au toucher. Légèrement nacré, veiné même, sa forme bien connue étonnait ici par un léger enflement à sa base qui lui seyait assez. Bien que ce vulgaire tuyau fût tout d'abord réservé à un banal usage, je me pris à rêvasser qu'il s'agissait d'un secret étui dont pouvaient jaillir quelques grumeaux floconneux, peut-être même des étoiles d'argile, comme celles qu'ornent à foison les plafonds d'Artigny. Je l'ouvris enfin, dégarnissant la fine capsule qui retenait cette crème immaculée. Cet emballage anodin figurait mal l'émotion que je prenais à sa découverte. Il s'agissait d'être mesuré, de le saisir délicatement pour en voir le début, après l'avoir débarrassé de sa gangue de papier soyeux. Qu'il était agréable alors de le presser mesurément, comme on le voit faire sur un téton d'un tableau renommé de François Clouet, qui serait, sous toutes réserves, celui de Diane de Poitiers.

Son lait épais venait ou se rétractait au gré de l'exacte pression que l'on pouvait exercer en son milieu, juste en dessous de l'ouverture dont les rebords striés le montraient comme vernissé, crénelé même, dès que les doigts se refermaient vivement vers sa tête décapitée. Dans mon empressement à le saisir tout à fait, son distingué bouchon vint choir au beau milieu de la pièce; me baissant, tout à sa recherche, accroupi, à nouveau, il roula bientôt entre mes doigts curieux, jusqu'en ma paume qui s'amusa aussitôt à le faire sautiller en ouvrant, d'un coup, une large main. Léger, indolent, il me parut qu'en le jetant haut assez, il m'aurait été impossible de le récupérer aisément tant il était menu. Bien vite, l'envie me prit d'étaler la divine pâte sur le rebord d'une coupelle que voisinait deux gants de toilettes armoriés.

Son or blanc jaillit alors, suave et mentholé, emplissant mes narines d'une senteur si délectable que le souvenir me revint d'une fragrance, qu'en forçant en ce château qu'il fit rebâtir, l'un des précieux flacons du célèbre Coty, le parfumeur des années folles, j'avais si puissamment révélé à mes sens par son odorant Origan, le délicat arôme des amours délicieuses."

Dans "Fonteneau, premier vaisseau"

              Gary d'Els










H.M. Paris 2011
Reproduction interdite.
 
Aujourd'hui sont déjà 3 visiteurs (6 hits) Ici!
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement