Au pays beauceron de Marcel Proust...


  

               Illiers Combray, la maison de tante Léonie.


“Longtemps, je me suis promené dans le pays proustien logeant à l'Hôtel de l'Image, établi en un coin de la place d'Illiers Combray. Cette grosse bourgade d'Eure et Loir et, surtout, son relais connu du temps de Marcel Proust sous cette amusante appellation me sera un point de départ idéal, une avancée intangible, presque un repère intemporel.

J'y ai écrit six ouvrages.

A cette époque, jour et nuit, j'écumais d'un pas léger cette ville inspirante qui changea de nom en 1971, s'accolant “Combray” en l'honneur de l'écrivain souffreteux qui releva ici les tracés naturels que révèle une grande partie de son oeuvre. Son Pré Catelan n'eût vite pour moi guère de secrets. A deux pas de mon hôtellerie, tout empli encore des suaves senteurs de la haie d'aubépine, je humai le jardinet de tante Léonie, cherchant là les traces de l'antique hammam de l'oncle Jules que Proust vénérait, gamin.

Puis, rêvassant, je me tenais des heures, immobile, en mes habits poussiéreux, l'âme nue, suspendu comme un fruit vert de la petite orangerie jouxtant l'antique demeure de ce jardinet compassé. Pénétrant dans l'antre mortifère, je songeais aux suaves madeleines qu'une maison de commerce fabrique encore, non loin de "chez Léonie."

Un soir, baguenaudant sous les fenêtres de ce petit musée vieillot, il me sembla qu'à l'une d'elles, une menotte m'en tendait une; elle s'agitait si gaiement à ma vue, qu'assurément, j'y vis celle d'un fantôme proustien. Sur le côté de l'hôtellerie, un passage grillagé donnait  immédiatement accès au-dehors. A toute heure, il me permettait de m'échapper sans gêner personne. Guidé par l'esprit et mes pensées, je m'évanouissais alors par les ruelles, finissant par me perdre en pleins champs.

Certains soirs, j'allais jusqu'au portail de Tansonville dont je faisais le grand tour avant de pourchasser les spectres grandets de cette campagne livresque d'où je revenais trempé comme une soupe par la fine pluie du petit matin.

Ayant posé le socle d'une écritoire sans cesse revisitée en ce gentil coin de France, en cet hôtel neuf, et, pourtant, si étrangement désuet, aujourd'hui, je n'y demeure plus que de temps à autre, me consacrant entre ses murs pâlots à l'écriture des ouvrages qui me reste à terminer.

Anciennement, j'aimais assez crayonner parmi les habitants de ce gros bourg qui négligent Proust depuis toujours. Affalés aux rudes tables des estaminets, ils finissent, ivres morts, sur les larges dalles de leur belle église, où il n'est plus qu'un sévère abbé pour les réveiller du pied! Parfois, l'en distrayant, il se surprenait du jeu de mes doigts, tâchés d'encre, caressant les touches défaites du petit clavier de ses orgues dissonantes.

Alors, sauf lui, peut-être, enchanté-je le Christ entouré des saints Jacques et Hilaire, de Miles d'Illiers, évêque de Chartres, et, à droite, de son frère Florent, en armure... Mais, Proust m'a déjà vengé des indifférents ! Il lui a fait subir un mauvais sort : il devient «Gilbert le Mauvais» dans son œuvre.

Trois fois l'an, vivant là comme chez moi, m'éprenant de tout ce que mes sens laissèrent augurer d'images prégnantes, je fus vite captif de cet endroit inspirant et de son accueil rustique.

Proche de cet idéal berceau emblématique parce que littéraire, me confondrai-je un soir aux ombres frôlées à chaque venue, à ces pierres qui roulent aux sentiers aimés ?

Deviendrai-je un jour l'une d'elles, de château ou de grand chemin, en cette contrée qui n'est point mienne et où Marcel, enfant, venait avant Pâques ?» 

 In 'Balade avec Proust'

Gary d'Els

 

 
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