(...) Chaque matin, depuis un mois, Edmée de Saint-Amand accueillait l'aube en ses petits jardins surannés. 

L'humidité du parc lui procurait la même sensation qu'un bain glacé. Je la devinais, ombre tremblante, enfouie sous mille châles, baguenaudant des grilles au perron, tête penchée. En cet univers, indolemment, elle se consolait à peine d'être chez elle. J'aurais bientôt de ses nouvelles. Sans doute avant Pâques. J'en étais là, lorsqu'un bristol me parvint d'Aberloup. De son écriture fine et penchée, avec bonheur, elle annonçait sa venue prochaine. Sa missive toute parfumée d'elle se terminait par une sorte d'oxymore, une demi-citation, pas même un apophtegme:

"Ô Nuit céleste! Ô folles entreprises! En quelle déshérence tenez-vous les rêves qui s'évanouissent aux premières lueurs du jour?"

La saison s'avançait; les hêtres pourpres perdaient peu à peu de leur superbe. De loin, on eût dit qu'ils se paraient de pyjamas rayés. Leurs teintes, affreusement passées, portaient ombrage au sycomore alangui, ombré à peine de leurs carcasses décharnées. Leur aura désuète s'accordait aux soirs d'une saison où rien ne comptait plus que le thé aux myrtilles que Madame de Saint-Amand préparait elle-même.

Abandonné à cette impossible dualité que font naître mystères et passions, je lui dirais encore des pensées affectueuses, des mensonges qu'elle croirait, un tendre aveu qui ne résume rien et dit l'essentiel...

Bien vite, je lui adressai ce petit poème en guise d'acquiescement...

Ô femmes étranges!

Têtes enchanteresses,

Musées sous la fange,

Où mon âme pécheresse

Est venue se méprendre.

Ô femmes étrangères!

La rivière a brodé

Un chapeau de fougères,

Et, le ciel sous l'ondée

A fait de vos bouches

Un écrin de lumière.

Ô femmes que la nuit

Rends délices et tourments,

Vous pleurez à minuit,

Et, riez au levant!

Gary d'Els

In "Osépis" et "Fonteneau, Premier Vaisseau"