(...) Mademoiselle d'Etole ranima Versailles dès après la mort du roi. Sa grâce et sont maintien conquirent quelques illustres. Elle se frisait et se poudrait elle-même. D'un caractère enjoué, chanceuse aux tables quand elle s'appliquait à défaire les fortunes, on ne lui connaissait qu'un ennemi intime: son fichu caractère lorsqu'elle perdait au jeu! Au mieux de sa forme, Monsieur, frère du roi, soutint qu'en un seul soir, il la vit détrousser Lord Burckley et l'ambassadeur d'Italie au trou-madame! Son premier valet, lui, qu'il prêta ses hauts-de-chausses à l'anglais! Bien qu'elle ne participât jamais au grand couvert, il se disait qu'en quelque office elle monnayait ses conseils avisés pour gagner à tous les coups au brelan. Il n'était pas jusqu'au fameux Dangeau qui lui fit grâce d'être à sa table le plus vil des coquins pour rebattre ses cartes au beau milieu du salon Mercure! Du moment, qu'à la fin, elle gagnait la partie, notre joueuse invétérée n'en avait cure. En cas contraire, quittant la place prestement, d'un revers de la main, elle renversait les plats de pastilles à brûler quand ce n'était pas l'une ou l'autre cassolette contenant l'eau de mille fleurs.
(...) En ces temps-là, Vaux-le-Vicomte avait encore toute sa renommée, ses charmes agissants. Madame d'Antac en faisait partie. Taille bien prise, oeil aimable, port de tête royal, elle baguenaudait entre les ifs avec la grâce d'un cygne. Il se disait à la cour qu'elle seule maniait l'art subtil de conquérir les coeurs; que le Grand Turc s'en serait entiché sans dot, qu'il ne fallait plus compter sur la raison pour s'abstraire de ses tendres griffes! Son esprit était fin, subtil et délié des niaiseries habituelles que l'on pressent chez les demoiselles bien nées; d'Autun contait que sa fraîcheur divine était cause que son régiment entier se coucha à sa vue pour lui permettre de passer le gué de Saint-Flour sans mouiller ses jolis petons. Pieds menus auprès desquels d'Albray déposa sa grande fortune, mécontent des ressorts qu'un piteux mariage laissa désespéré. Il n'est pas jusqu'à monsieur, frère du roi, qui s'enticha de sa coiffure, des rubans qu'elle plaçait aux chevilles, peu liés, et qu'un léger vent se trouva prompt, quelques étés, à répandre dans le parc Versaillais! Le souverain n'était pas en reste de compliments adressés plus ou moins discrètement; n'avait-il pas témoigné devant Lully qu'il la ferait danser tant que le soleil ou la lune inonderait son cou laiteux, ses fiers jabots?
(...)Au tout début de l'été 1802, Madame d'Halluines s'était résolue à marier sa fille cadette. La délicieuse Angélique allait sur ses vingt quatre ans. Son coeur penchait de tous côtés. Bien que les prétendants ne manquassent pas, il fallait ici trouver un parti qui puisse convenir aux exigences de la mère et à l'inclinaison de sa fille pour les gens d’armes. Rien ne la ravissait tant que la vue des uniformes! Et, à cette époque, des officiers rendant leurs devoirs au marquis d'Estrières, il n'en manquait jamais. Chaque jour apportait son lot de candidats potentiels. De sa chambre, longue vue vissée à l'oeil, elle guettait leurs venues d'un petit promontoire jouxtant sa terrasse. Depuis peu, l'un d'eux retenait particulièrement son attention. Ayant aperçu son petit manège, un matin où elle prenait son laitage à l'office, le marquis l'apostropha sèchement. Sentant le danger, la cuisinière avec laquelle elle devisait jusque-là, se trouva une subite occupation hors de son antre: "ma fille, je sous saurais gré de cesser vos observations! Il n'est pas ici que je pourvois à toutes choses! Aussi bien, me ferez-vous le plaisir de cesser d'agiter vos rideaux ou vos mouchoirs!" Rien n'y fit! Dès que Félix d'Anteuil paraissait dans la cour, fièrement dressé sur son destrier, la belle redoublait d'attention, coeur palpitant, bouche sèche. Hélas, notre beau militaire ne sembla guère attiré. Il se disait même en quelque mauvaise auberge qu'il préférait toujours la compagnie des jeunes gens. Fidèlement, Champfeuil lui rapporta ses moindres faits et gestes. C'est ainsi qu'il apprit que son propre frère faisait partie de la si joyeuse "écurie!"
Olympe de Bagatelle
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