Portrait de la mère du poète

"Comme auteur, admirant Balzac, Chateaubriand, George Sand et quelques autres qui y rédigèrent leurs oeuvres, depuis toujours, je me suis grandement inspiré des châteaux, vastes théâtres verdoyants, thébaïdes sulfureuses, sièges de glorieuses batailles dont je suis l'heureux séide depuis quarante années déjà en sept lieux de vie...

Cadre d'une fonction, celle de régisseur de château privé, décors romanesques... art de vivre!

Au fil du temps, Il m'est devenu indispensable d'y paraître pour rédiger, vivre encore, aimer demain, à la rencontre de mon destin...

Mais, ce lieu n'est bien évidemment pas que le cadre d'une exaltation littéraire, c'est également le siège d'une activité toute dévouée à la pérennité d'un certain patrimoine, et qu'il conviendrait, d'ailleurs, de remettre à l'avant-plan: celle de régisseur de château.

Professionnellement, un autre souhait émerge: réfléchir au concept d'approche de cet ancestral bâti en le rendant davantage accessible aux 15/25 A. Habituellement, cette tranche d'âge est peu encline à se satisfaire de la vue d'un siège Napoléon III, fut-il dissimulé sous quelques amusantes broderies de Plombières! Selon son tempérament, elle lui préfère un parcours "de branches en branches" dans le parc, voire un circuit où vrombir en quad! (Elle a bien raison, je la défendrai toujours.)

Cependant, qu'elle prenne conscience, cette jeunesse, qu'à l'époque de la leur, ces grands vaisseaux furent souvent des précurseurs de modernité par les avancées techniques qu'on leur avait prévues et qui s'admire encore de nos jours à travers certaines machineries sophistiquées. N'est-ce pas du château de Versailles que s'envola dans les airs, et pour la première fois en 1783, le ballon à air chaud inventé par les frères de Montgolfier ?Cela me conduit en partie à penser, qu'en réalité, il n'est rien de plus idéalement d'avant-garde qu'une demeure historique!

Depuis près d'un demi-siècle, je n'ai eu de cesse de rallier à ces paisibles forteresses tout qui me semblait susceptible de s'améliorer au contact de leurs prodigieuses épopées, favorisant, surtout, que les jeunes les connaissent un peu mieux, qu'ils puissent les fréquenter amusément, côtoyer ces grandes étendues qui ne demandent qu'à s'éveiller à leurs jeux, les voir baguenauder à leur aise. Suscitant, ici, qu'ils soient intrigués par une oubliette, là, par un héraut en armure, dont on s'inquiète toujours du poids (comptez en moyenne un bon 20 kilogs) Je me rappelle en particulier de ce stage organisé pour de futurs architectes dont le thème était: "Voir sans être vu".

Le surlendemain, quand je fus seul au parc, dans le petit matin naissant, quel bonheur d'y estimer ces constructions abracadabrantesques* qu'ils avaient là construites! (*Néologisme cher à Rimbaud et à Théophile Gautier...) Faites de branchages entrelacés, de joncs triturés, assemblés de cordages végétaux, elles donnaient aux ifs centenaires des allures de mâts de cocagne. Pour peu, on aurait pu imaginer quelque viking débarquant d'un fier drakkar!

Il conviendrait donc de remettre cela sur le métier afin d'être en mesure de prévoir des programmes aptes à mieux retenir l'attention de cette tranche d'âge qui déserte un peu trop ces chères allées historiques.

Après tout, ce rare patrimoine commun sera le leur demain! C'est donc bien à eux qu'il faut s'adresser aujourd'hui, à qui il appartiendra, dans l'avenir, de lui trouver des solutions de leur temps, propre à les maintenir, au moins.

Souvenons-nous toujours qu'un pays ou une contrée qui néglige son passé et son Histoire aura nettement moins de chances de se défendre demain ou d'accéder à des subventions qui permettront de les voir vivre cent cinquante années de mieux en rencontrant moins d'écueils.

De manière générale, nos demeures historiques doivent être davantage ouvertes au monde; il ne doit pas dépendre, comme on le constate trop souvent, de l'apanage de certains qu'elles soient, aujourd'hui encore, si refermées sur elles-mêmes. ( En dehors des "Journées du Patrimoine"!)

Parfois, le phénomène s'inverse... Pour preuve, cette dame qui vint un jour me trouver avec une demande toute spéciale : revoir sa chambre de jeune fille, y passer quelques heures à se souvenir d'heureux instants d'enfance vécus là, avant que ses parents ne vendent le château de sa jeunesse. Je pris sur moi d'accéder à son émouvante requête. Bien m'en prit: en descendant le grand escalier, les yeux embués, elle me confia que c'était l'un des plus beaux jours de sa vie! Or, à l'époque, cette propriété-là était ''strictement privée'' A vrai dire, je n'aurais pas pu lui refuser de s'y souvenir de tout ce qu'elle lui devait. On pouvait bien me congédier après l'avoir confessé, je le referais demain!

Selon moi, grande et petite histoire s'écrivent avec un H majuscule! Elles ont autant de valeur; elles sont, surtout, toutes deux dignes d' intérêt, dès lors qu'on leur porte une attention bienveillante, propice à changer nos rythmes de vie effrénés.

Où que vous soyez, intéressez-vous au fragile patrimoine de vos villes et villages, allez spontanément à sa rencontre! D'abord, cela me portera grande joie de vous y rencontrer, mieux, de vous connaître. Mais oui, levez-vous plus tôt un de ces samedis, et dites-vous:

"c'est mon passé, celui de mes aïeux; cela me concerne. Cette haute tour, mon grand-père l'a jadis contemplée; libre, il fut très heureux de la retrouver en revenant de la guerre; cela voulait dire qu'il était de retour à la maison..."

Il aurait bien eu raison d'affirmer cela. Elle était alors un phare intangible qui lui fit chaud au coeur de revoir, probablement un point de ralliement pour la résistance ou mieux, elle nous rendait digne d'éprouver le sentiment que nos ennemis d'alors, n'osant pas y toucher, ne nous nuiraient pas non plus.

C'est pour ces raisons, qu'aujourd'hui encore, cette tour est là, droite et fière; vous l'apercevez parfois dans la brume matinale, aux abords du hameau dont le nom provient bien souvent du sien. 

Et si vous commenciez par vouloir l'approcher, la caresser, nous visiter?  

Et si vous vous disiez qu'il n'y a aucune raison pour ne pas aller à sa rencontre?

En une occasion toute simple, si naturelle en somme, pour vous ressourcer, ou en famille, franchir les grilles de la grande allée (à pied, c'est mieux, les voies d'accès sont des postes coûteux... Merci !), écouter son coeur battre sous la pierre au tempo des siècles et de son histoire... qui est aussi la vôtre.

Ce faisant, vous retrouveriez la part d'enfance qui est en vous...

Aujourd'hui, ce tas de pierres a besoin de toi pour subsister afin que ton rêve ne se brise pas... que tous les marmots du monde puissent le dessiner avec tes yeux d'alors, qu'ils croquent ton beau domaine tel qu'il fut érigé... Tant qu'il est encore debout, bravant les siècles qu'il a fièrement traversé pour se retrouver tel que sur tes petites esquisses d'écolier.

Eternel rêvé, magie de l'imaginaire qui se reflète en nous, depuis toujours...

                 "Qui s'invite me reçoit!"

Telle est ma devise d'homme libre qui ne conçoit bien la noblesse qu'à travers ce que bâtirent ses lointains ancêtres. C'est bien cela qu'il m'appartient de maintenir, passionnément, à la petite place que j'occupe, songeant que "conserver, c'est encore créer." 

Favorisons demain les occasions qui feront qu'un plus grand nombre de jeunes puissent se conscientiser à la préservation de ces lieux en adoptant également cette petite maxime ! Nous les attendons de pied ferme ...

Qu'ils soient surtout les très bienvenus!

Pour que chaque gosse puisse encore dessiner un donjon, rêver de prince et de princesse ou, gaiement, construire un château de sable... Celui de son village, celui qu'il préfère, celui qu'il défendra demain, en ami, contre les assauts du temps... De ce temps jadis où il n'était lui-même qu'un enfant au visage de pierre, tendre et fragile, que, désormais, il ne faut plus jamais négliger."

In "Fonteneau, premier vaisseau" G.d.